Dirk Braeckman: Aux bords de l'image
Comment est-ce possible? Comment expliquer que les photographies de Dirk Braeckman n'ont rien de commun avec ce que l'on considère habituellement comme de la photographie, et sont pourtant des photographies? Qu'elles sont à peine des 'images' mais parlent plus que les images? Qu'elles excluent tout ce qui relève de l'anecdote («J'élimine une partie de l'information qui détourne de l'essentiel») mais qu'elles confèrent plus de présence à ce qu'elles montrent? Qu'elles se situent aux antipodes des canons de la photographies du point de vue du cadrage, de la netteté, des contrastes, des reflets de la lumière naturelle ou de flash..., mais que cette distance absolue des règles académiques («J'essaie de faire abstraction des normes de la photographie») soit un avantage et même une source de fascination?
On a pu voir des a-photos dans les années soixante-dix, des antiphotos plus récemment, mais peut-être est-ce avec ce travail que la photographie se révèle, révèle sa vraie nature, comme un homme ou une femme révèlent leur caractère ailleurs que dans leur physionomie.
Le paradoxe du travail de Braeckman se poursuit lorsqu'il s'engage dans une recherche d'épurement, «éliminer constamment», sans pour autant tomber dans un minimalisme qui induirait une espèce d'abstraction comme on a pu en voir chez Sujimoto par exemple. Au contraire chez Braeckman, l'épurement, l'élimination, se conjuguent avec le pittoresque: architectures vernaculaires, meubles quelconques, décoration aux papiers peints chargés, carreaux de céramiques... sont là sans nostalgie; il sont là de manière neutre, parce qu'ils sont là, sans aucun pathos, même d'ethnologue.
Braeckman pousse sa recherche plus loin lorsqu'il invente une sorte de trompe-l'oeil pervers en intégrant dans ses photos des photos d'affiches, de magazines ou d'autres photos à lui, ou même en rephotographiant une peinture réaliste d'un intérieur qu'on prend d'abord pour une photo de cet intérieur.
A Deurle, s'ajoutent l'effet de série et l'accrochage: bien sûr la qualité du lieu, sa personnalité avec ses accidents, son patio, sa lumière, contribuent à renforcer la possibilité entre la vue d'ensemble d'une disposition rigoureuse de 58 photographies de même format, contrecollées sur feuilles d'aluminium, et la déambulation, la circulation de l'une à l'autre qui va mettre en évidence les successions calculées, amplifier les caractéristiques de chaque image par leurs traits communs, créer enfin un climat singulier: «L'oeuvre doit être présentée de telle façon qu'on puisse en faire une expérience correcte. C'est pourquoi l'esthétisation n'enlève rien au contenu, pas plus qu'elle ne forme une concession au profit ou au détriment de l'intention.»